DIABETE DE LA MUCOVISCIDOSE

Publié le par Philippe Grisval

Les premières descriptions de diabète au cours de la mucoviscidose remontent aux années 50. Dans la littérature, jusqu’au début des années 80, le diabète est considéré comme une manifestation exceptionnelle et sans implication clinique majeure. En fait, ceci ne faisait que refléter le faible pronostic vital des patients. L’amélioration de la prise en charge de la mucoviscidose, et l’allongement de l’espérance de vie des patients, augmente la fréquence d’autres manifestations de la maladie, au premier rang desquelles se place le diabète sucré.Même s’il a des similitudes avec les deux formes majeures, diabète de type 1 et diabète de type 2 (tableau 1), le diabète de la mucoviscidose est une entité à part (Cystic Fibrosis Related Diabetes Mellitus, dans les classifications anglo-saxonnes).Plusieurs études ont montré que le diabète aggrave la morbidité et la mortalité de la mucoviscidose [1,2]. Le diabète n’est peut-être qu’un indicateur d’un stade plus grave de la maladie, mais l’hyperglycémie et le déficit en insuline pourraient avoir un effet délétère propre sur l’état nutritionnel et la fonction respiratoire. La mise en route de l’insulinothérapie corrige, au moins en partie, la détérioration de l’état nutritionnel et respiratoire [1].
Physiopathologie
( Tableau 1 )Comme dans le diabète de type 1, les îlots de Langerhans sont détruits, ce qui entraîne une insulinopénie. Cependant, les mécanismes sont différents et aucune des anomalies caractéristiques du diabète de type 1 n’est retrouvée chez les patients ayant un diabète de la mucoviscidose (tableau 2)( Tableau 2 ) : absence d’insulite à l’examen anatomo-pathologique du pancréas [3] ; absence de corrélation avec le système HLA-DR [4,5] ; absence d’auto-anticorps circulants [4,5].

L’ARN messager de la protéine CFTR est présent dans les cellules centro-acinaires et dans les canaux pancréatiques, mais pas dans les îlots de Langerhans [6]. Anatomiquement, on observe des bouchons muqueux dans les canaux pancréatiques et une dégénérescence graisseuse du pancréas exocrine. Une insuffisance pancréatique externe apparaît précocement chez 85 % des patients. Les anomalies du pancréas vont en s’aggravant mais les îlots de Langerhans sont longtemps épargnés. Le nombre d’îlots de Langherans semble peu modifié chez les patients qui n’ont pas de diabète, alors qu’il est diminué chez ceux qui ont un diabète. Le nombre de cellules β est diminué d’environ 50 %, alors que les autres lignées cellulaires (α et PP) sont relativement préservées, voire augmentées (cellules δ). Les îlots sont plus ou moins fragmentés par la fibrose et la dégénérescence graisseuse ( (figure 1) ). Cependant, la préservation relative des cellules périphériques de l’îlot (α et δ) suggère que la destruction des îlots ne se limite pas à un étranglement progressif par la fibrose. Elle semble débuter au centre de l’îlot, peut-être du fait de phénomènes ischémiques, la vascularisation de l’îlot étant diminuée par la fibrose et la dégénérescence graisseuse. Le fait que l’anatomopathologie du pancréas diffère peu chez les patients avec ou sans diabète, et que le diabète apparaît quand environ la moitié des cellules β a disparu, comparé à plus de 90 % dans le diabète de type 1, suggère que l’apparition de l’hyperglycémie dépend d’autres facteurs. L’amylose peut être un de ces facteurs [7], comme dans le diabète de type 2. En effet, une amylose apparaît dans les îlots des patients qui ont un diabète, pas chez les patients qui n’ont pas de diabète. Cependant, si elle peut être à l’origine d’un dysfonctionnement de la cellule β, elle pourrait aussi être une simple conséquence de l’hyperglycémie.

En accord avec les observations anatomo-pathologiques, l’étude de la sécrétion d’insuline chez les patients montre que la capacité à sécréter l’insuline, évaluée par clamp hyperglycémique, reste normale avant l’apparition du diabète [8], suggérant que des altérations fonctionnelles contribuent à la diminution de la sécrétion d’insuline. Pendant la longue période (plusieurs années) d’intolérance au glucose qui précède l’apparition du diabète, la lente détérioration de la tolérance au glucose est parallèle à la baisse progressive de la sécrétion d’insuline. L’épreuve d’hyperglycémie provoquée orale (HGPO) montre bien que la sécrétion d’insuline est diminuée en amplitude et retardée, l’anomalie étant d’autant plus marquée que la tolérance au glucose est plus altérée [9,10]. La réponse insulino-sécrétrice (pic précoce) à l’hyperglycémie provoquée intraveineuse (HGPIV) est diminuée en cas d’intolérance au glucose [8], mais aussi chez les patients ayant une insuffisance pancréatique externe et une tolérance au glucose normale [11]. La réponse aux autres stimuli, comme l’arginine, est diminuée quel que soit l’état de tolérance au glucose [11].

Le développement du diabète dépend principalement des anomalies de la sécrétion d’insuline, mais d’autres facteurs pourraient y contribuer. Les études les plus récentes, sur des populations dont la tolérance au glucose était bien définie, montrent que la sensibilité à l’insuline est normale en l’absence de diabète [8,12-14]. Une insulino-résistance peut accompagner un déséquilibre glycémique [15,16] et se corriger avec la normalisation de la glycémie [15]. Par ailleurs, les épisodes infectieux aigus peuvent s’accompagner d’insulino-résistance transitoire. La clairance de l’insuline est augmentée de 30 à 40 % [15], augmentation secondaire à une diminution de la demi-vie plasmatique de l’insuline, dont l’origine n’est pas connue. Le glucagon plasmatique à jeun est normal ou diminué, qu’il y ait ou non un diabète [9,11]. La réponse du glucagon à une hypoglycémie induite par l’insuline [11], et l’inhibition de la sécrétion de glucagon au cours de l’HGPO [9] sont diminuées. La somatostatine est augmentée, ce qui peut contribuer à l’inhibition de la sécrétion d’insuline [9]. La sécrétion des hormones de l’axe entéro-insulaire, Glucagon Like-Peptide 1 et Gastric Inhibitory Polypeptide [9], est normale.
Tableau 1 Caractéristiques générales du diabète de la mucoviscidose, comparées à celles du diabète de type 1 et du diabète de type 2


Mucoviscidose

Type 1

Type 2

Age de début

Après 15 ans

Avant 20 ans

Après 20 ans

Poids

Maigreur

Normal

Obésité

Sécrétion d’insuline

Très basse

Nulle

Basse

Sensibilité à l’insuline

Variable

Normale ou basse

Très diminuée

Auto-immunité

Non

Oui

Non

Amylose

Oui

Non

Oui

Acidocétose

Rare

Oui

Rare

Microangiopathie

Oui

Oui

Oui

Macroangiopathie

?

Oui

Oui


Tableau 2 Caractéristiques immuno-génétiques de patients atteints de mucoviscidose, comparés à celles du diabète de type 1 auto-immun (données personnelles)

Mucoviscidose

Diabète auto-immun

Total

Diabète

n

106

31

108


HLA DR3 ou 4

40 %

39 %

48 %

90 %

HLA DR3/4

2

< 1

1%

30 %

Anticorps anti-îlots

0

0

< 1 %

80 %

Épidémiologie
Les études de populations, même sur de grands nombres de patients [17-20], montrent des chiffres assez variables de prévalence du diabète dans la mucoviscidose : 13,4 % selon le rapport de l’année 2000 de la Cystic Fibrosis Foundation, sur 27 849 patients, soit environ 90 % des patients nord-américains ; 9,5 % d’après le rapport de l’année 2001 de l’Observatoire de la mucoviscidose en France, sur 3 200 patients ; 16,1 % sur 224 patients adultes, suivis dans le principal centre adulte parisien, qui a une approche de dépistage systématique.

La raison la plus évidente à ces différences entre études est que la prévalence du diabète de la mucoviscidose augmente avec l’âge. La surveillance annuelle, par HGPO, de patients ayant initialement une tolérance au glucose normale, montre une augmentation de la prévalence du diabète de 11 à 24 % en 5 ans. Dans une étude danoise, la prévalence est de 1,5 % à 10 ans, 13 % à 20 ans et 50 % à 30 ans [21]. Les données d’un suivi longitudinal, depuis l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte, à l’Hôpital Necker – Enfants Malades, montre des résultats très comparables ( (figure 2) ). Cette étude montre bien le délai de plusieurs années entre la découverte de l’intolérance au glucose, le diagnostic de diabète à l’HGPO et le début de l’insulinothérapie.

Selon les études, 3,8 à 5 % des patients développent une anomalie de la tolérance glucidique tous les ans. Cependant, l’incidence du diabète varie aussi avec l’âge : sur une période de 5 ans, 12 % des patients âgés de 10-19 ans et 46 % des patients âgés de plus 20 ans développent un diabète [17]. Actuellement, l’âge médian de découverte du diabète est de 20 ans [17].

En dehors de l’âge, certains facteurs peuvent influencer la fréquence du diabète. Il semble plus précoce et sa prévalence semble supérieure chez les femmes ([17,22], données de l’ONM). Il se développe chez les patients qui ont une insuffisance pancréatique externe et, semble-t-il, d’autant plus que l’atteinte pancréatique externe est sévère [11, 16, 17, 20, 22-24]. Les patients sans insuffisance pancréatique n’ont pas d’anomalies du métabolisme du glucose. Dans le registre européen (ERCF), l’analyse de 8 963 patients montre que la prévalence du diabète est de 2,6 % chez les patients de moins de 18 ans et de 22,1 % chez ceux de plus de 18 ans, quand le génotype est sévère ; elle est de 1,5 % chez ceux de plus de 18 ans, quand le génotype est peu sévère ( (figure 3) ). Le génotype ΔF508/ ΔF508 semble lié à une augmentation du risque de diabète. Selon le registre européen, certaines mutations (mutations faux-sens pour la plupart) offrent un certain degré de protection pour le diabète, ainsi que pour l’insuffisance pancréatique externe et l’atteinte hépatique [11,25]. D’autres études n’ont pas trouvé d’association avec le génotype, mais elles portent sur un nombre plus réduit de patients [26]. Les données du registre européen sont donc à confirmer par des études de puissance semblable.

Diagnostic du diabète de la mucoviscidose
Le diabète de la mucoviscidose peut se révéler par un syndrome polyuro-polydipsique [17], et par un amaigrissement ou l’absence de prise de poids malgré une intervention nutritionnelle agressive [24]. L’apparition des symptômes peut être précipitée par une surinfection, une corticothérapie ou une suralimentation, en particulier une nutrition nocturne continue [21, 27, 28]. L’acidocétose n’est pratiquement jamais révélatrice du fait de la baisse de la sécrétion de glucagon. D’une façon générale, la cétonurie est très rare au diagnostic ou au cours de l’évolution [21].

Le diabète est le plus souvent diagnostiqué par le dépistage systématique. Une intolérance au glucose, dépistée par l’HGPO, précède le diabète. Cette période d’intolérance est de plusieurs années, avec de grandes variations individuelles. Sur une période de 5 ans, l’intolérance multiplie par 5,6 fois le risque de diabète [17]. La réponse à l’HGPO est sujette à des variations : la surveillance annuelle montre que l’intolérance au glucose régresse au test suivant chez 58 % des patients, alors que 14 % développent un diabète [17]. Dans notre expérience (tableau 3)( Tableau 3 ), ce phénomène de retour en arrière de l’intolérance est retrouvé sur une période de 2 ans ; il faut souligner que cela ne correspond généralement qu’à des variations minimes de glycémies à la limite entre normal et intolérance, mais cela montre bien la lenteur de la détérioration glycémique. Sur une période plus longue de 5 ans, l’intolérance s’aggrave dans la majorité des cas. Quand l’HGPO arrive au stade de diabète, aucun retour en arrière n’a été observé sur 2, et encore moins sur 5 ans.

Le diagnostic de diabète est porté si :

  • la glycémie est ≥ 2 g/L (11,1 mmol/L) quelle que soit l’heure de prélèvement ;
  • la glycémie à jeun est ≥ 1,26 g/L (7 mmol/L) à au moins deux reprises ;
  • –  la glycémie à 2 heures de l’HGPO est ≥ 2 g/L (11,1 mmol/L).

Le dépistage est souvent fait par un dosage de la glycémie à l’occasion d’une consultation, mais seule une glycémie pathologique a une valeur diagnostique, une glycémie normale ne l’éliminant pas. Cette pratique semble particulièrement intéressante chez un patient symptomatique, chez qui la glycémie sera toujours élevée.

La glycémie à jeun n’est pas un bon test diagnostique car elle ne s’altère que très tardivement. Seuls 16 % des patients ayant un diabète à l’HGPO ont une glycémie à jeun pathologique. Les valeurs prédictives positive et négative de cet examen sont respectivement de 33 et 96 % [17]. Ces données sont retrouvées par d’autres études [5, 24, 27, 29].

De même, l’hémoglobine glyquée ne s’élève que tardivement, lorsque l’hyperglycémie a une expression clinique. Elle n’est élevée que chez 16 % des patients qui ont un diabète à l’HGPO [17], et ses valeurs prédictives positive et négative sont respectivement de 50 et 96 %. Beaucoup d’études confirment sa faible valeur pour le dépistage [5, 24, 30, 31].

L’HGPO est l’examen de référence, indispensable pour toute étude portant sur les anomalies du métabolisme du glucose liées à la mucoviscidose [5, 17, 31-34]. Pour le dépistage, il a été recommandé de la faire annuellement à partir de l’âge de 10 ans [24, 34]. Compte tenu de la très lente évolution au cours de la période de prédiabète, le dépistage ne semble pas justifié plus d’une fois tous les deux ans, à partir de l’âge de 15 ans, avec une surveillance moins fréquente à partir de l’âge de 10 ans [35]. Certaines équipes recherchent une stratégie de dépistage qui limiterait le nombre des HGPO [24], et la Cystic Fibrosis Foundation n’en recommande pas la pratique systématique [32]. Les modalités de dépistage du diabète dans la mucoviscidose restent donc à définir. Si elles sont encore discutées, c’est sans doute parce qu’il est difficile de préciser à partir de quel stade de leur évolution les troubles du métabolisme du glucose retentissent sur l’évolution de la mucoviscidose et justifient la mise en route d’un traitement.
Tableau 3 Evolution métabolique et clinique 2 et 5 ans après une première HGPO, en fonction de l’état métabolique initial


HGPO initiale

Normale n = 89

Intolérance n = 58

Diabète n = 17

2 ans après la 1ère HGPO


HGPO normale

26

14

-

Intolérance

11

9

-

Diabète

5

5

3

Insulinothérapie

1

-

4

Greffe

2

1

1

Décès

4

3

5

Non testé

40

26

4


HGPO initiale

Normale n = 70

Intolérance n = 42

Diabète n = 17

5 ans après la 1ère HGPO


HGPO normale

11

3

-

Intolérance

9

7

-

Diabète

6

5

4

Insulinothérapie

2

2

5

Greffe

1

3

3

Décès

5

6

5

Non testé

36

16

0

Évolution de la mucoviscidose et du diabète
L’apparition d’anomalies de la tolérance glucose, du diabète en particulier, semble être un facteur d’aggravation de la mucoviscidose. Selon le rapport de la Cystic Fibrosis Foundation de 1997, chez les patients qui ont un diabète, la mortalité est multipliée par 6, l’état nutritionnel est plus précaire et les atteintes respiratoires plus sévères [36]. Une étude danoise, rétrospective, montre une détérioration des scores nutritionnels et respiratoires dans les 4-6 ans qui précèdent le diagnostic de diabète [1]. Une étude transversale chez 7 566 patients montre que le diabète s’accompagne d’une baisse de l’indice de masse corporelle et d’une aggravation des fonctions respiratoires [37]. Ces études ont été confirmées récemment par un suivi prospectif, sur 4 ans, de 152 patients initialement sans diabète. Cette étude a montré que la dégradation des fonctions respiratoires était corrélée à l’importance de l’intolérance au glucose et du déficit de la sécrétion d’insuline à l’entrée dans l’étude [14], suggérant un effet causal de la carence en insuline sur le déclin des fonctions respiratoires. Le traitement de l’hyperglycémie, par l’insuline en particulier, améliore les paramètres nutritionnels et respiratoires, avec un retour aux valeurs de 4-6 ans avant le début de l’insulinothérapie [2]. Cette étude rétrospective doit être confirmée par des études prospectives, mais elle pose la question d’un dépistage et d’un traitement précoces des anomalies de la tolérance au glucose, à l’état de « prédiabète ».

Le diabète de la mucoviscidose a longtemps été considéré comme peu sévère, avec un risque faible (ou même nul) de complications microangiopathiques. Chez un grand nombre de patients, l’équilibre glycémique peut être très satisfaisant pendant des années, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des schémas thérapeutiques aussi intensifs que dans le diabète de type 1. Cependant, l’hémoglobine glyquée peut être très élevée chez des patients non compliants au traitement médicamenteux ou aux recommandations diététiques. Il est maintenant montré que, comme pour les autres formes de diabète, l’apparition de microangiopathies dépend de la durée et de l’importance de l’hyperglycémie [38]. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le risque de complications spécifiques du diabète n’est pas nul [15, 28]. Des cas de rétinopathie et de néphropathie diabétique ont été décrits [21, 28, 39], et une étude récente montre des complications microangiopathiques chez 10 patients (23 %) sur 43, chiffre qui s’élève à 64 % chez les patients dont le diabète a plus de 10 ans [23]. Par contre, aucun de ces patients n’a de complications macroangiopathiques. La prise en charge du diabète doit donc aussi avoir comme objectif la prévention des complications de l’hyperglycémie, et ceci d’autant plus que s’allonge la durée de vie des patients.

Traitement
Le traitement par l’insuline ne se discute pas quand le diabète se révèle par des signes cliniques patents. Par contre, les modalités du traitement sont encore discutées pendant la période pré-clinique de la maladie. Les objectifs du traitement sont :
  • contrôler l’hyperglycémie pour réduire les complications aiguës et chroniques du diabète ;
  • maintenir un état nutritionnel optimal, et probablement améliorer la fonction respiratoire ;
  • tenir compte du traitement de la mucoviscidose et du mode de vie du patient.

La prise en charge nécessite la mise en œuvre d’une éducation thérapeutique et l’intervention d’une équipe multidisciplinaire, où des spécialistes de la mucoviscidose et du diabète, et si besoin d’autres spécialistes, bâtissent un projet thérapeutique individualisé et adapté.

Insuline

Le diabète de la mucoviscidose étant un diabète insulinoprive, l’insuline est le traitement de choix [1, 40]. Les schémas d’insulinothérapie peuvent être divers selon le stade évolutif du diabète. Chez beaucoup de patients, l’équilibre glycémique est obtenu assez facilement avec un schéma thérapeutique simple à 2 injections par jour, le plus souvent d’un mélange d’insuline rapide et intermédiaire, avec des doses peu importantes (0,5-1 unité/kg/jour). Cependant, il peut être nécessaire d’avoir recours à des schémas plus complexes (3 injections ou plus par jour), et d’utiliser des doses d’insulines élevées (1-3 unités/kg/jour) du fait d’une insulino-résistance provoquée par une infection respiratoire, une corticothérapie, ou dans le cadre d’une nutrition entérale continue. La non-observance au traitement est aussi un facteur non exceptionnel de déséquilibre glycémique. Comparé au diabète de type 1, le nombre d’hypoglycémies modérées, et surtout sévères, est bien moindre dans le diabète de la mucoviscidose [41].

Antidiabétiques oraux

Le débat reste ouvert sur l’intérêt des sulfamides hypoglycémiants aux stades précoces du diabète de la mucoviscidose, où persiste une sécrétion résiduelle stimulable du pancréas. Les études sont rares, courtes et sur peu de patients [42-44]. Leurs résultats montrent une amélioration de la tolérance glucidique et, dans l’une d’entre elles [42], une amélioration de la croissance staturo-pondérale chez des enfants présentant un retard statural important. Une étude rétrospective [45], comparant des patients traités par sulfamides (n = 11) ou par insuline (n = 37), a montré que les patients sous insuline avaient une durée de diabète plus longue, suggérant que les patients seraient traités par sulfamides au début du diabète. La place des médicaments stimulant l’insulino-sécrétion au stade préclinique du diabète doit donc être confirmée par des études de plus longue durée et sur des populations plus importantes.

Les glinides, dont la cible principale est la glycémie postprandiale, pourraient être d’intérêt dans cette pathologie. Une seule étude a comparé le répaglinide et la lispro et montré une excursion glycémique moins importante sous lispro lors d’un repas test liquide, mais cette étude se limitait à 7 patients ayant un diabète sans signes cliniques [46].

Les traitements de l’insulino-résistance (metformine, thiazolidinedione) ne semblent pas avoir leur place dans le traitement du diabète de la mucoviscidose.

Recommandations diététiques

L’objectif principal de la prise en charge nutritionnelle des patients atteints de mucoviscidose est de maintenir un état nutritionnel optimal, facteur de bon pronostic. Le traitement du diabète ne doit pas gêner cet objectif mais, au contraire, le faciliter. Les apports énergétiques doivent être suffisants pour assurer une croissance normale chez l’adolescent, et pour maintenir un indice de masse corporel entre 20 et 25 kg/m2 chez l’adulte, ce qui nécessite généralement d’apporter 120 à 140 % des besoins théoriques [47], l’augmentation des besoins étant liée à la malabsorption et à la surinfection pulmonaire chronique. Avec les enzymes pancréatiques de nouvelle génération, il n’y a pas lieu de restreindre les apports en lipides.

L’accent sera surtout mis sur :

  • –  Le rythme alimentaire : correspondance entre le profil des insulines utilisées et le rythme des repas, avec si besoin fractionnement des repas.
  • –  La mixité des repas : des repas contenant des lipides et des protides augmentent les apports caloriques mais ralentissent l’absorption des glucides ; les glucides à fort index glycémique sont à prendre en fin de repas.

La prise de préparations hypercaloriques doit, en particulier, tenir compte de ces recommandations.

La prescription d’une nutrition entérale nocturne continue nécessitera une adaptation spécifique de l’insulinothérapie.

La transplantation

L’indication à une greffe pancréatique ou d’îlots de Langerhans, associée à une greffe pulmonaire lorsque celle-ci est indiquée et réalisée, semble logique. Cependant, cette pratique reste tout à fait exceptionnelle.

En conclusion, de nombreuses données manquent encore concernant la stratégie de dépistage pour qu’elle soit efficace et peu contraignante, l’intérêt pronostique d’un dépistage et d’un traitement précoces, les indications des antidiabétiques oraux selon le stade évolutif du diabète. Seuls des essais multicentriques permettront de répondre à ces questions.

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SOURCE :  Author(s) : Jean-Jacques Robert , Diabète de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149 rue de Sèvres 75743 Paris cedex 15.

Publié dans MUCO SANTE

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